Question:
Chalom,
J’ai une question concernant les langues.
Entre l’an 0 et +70 (calendrier chrétien), quelle était la langue la plus parlée en terre sainte ? L’hébreu ou l’araméen ?
Qui parlait hébreu et qui parlait araméen ?
Dans quelles proportions ?
Dans les synagogues, quelles langues étaient utilisées ?
D’où vient l’araméen exactement ?
Merci d’avance.
Réponse:
Bonjour,
La Torah cite deux personnes au nom d’Aram :
1) Le petit-fils de Noa’h : “Les fils de Chem furent : Élam, Achour, Arpacschad, Lud et Aram. Les fils d’Aram : Uts, Hul, Guéter et Masch… Ils habitèrent… jusqu’à Har Hakédem” (Béréchit 10, 21-23). “Har Hakédem” signifie le plateau montagneux à l’est de la Turquie actuelle, jusqu’au Caucase.
Nos ancêtres, Téra’h, Avraham, Nahor, Lavan, Rivka, Léa, Rachel, et Jacob ont habité dans la ville de Haran, dans le pays d’Aram, appelé “le pays de Kédem” : “Jacob se mit en marche, et s’en alla au pays des fils de Kédem” (Béréchit 29, 1). Le prophète Bilam habitait dans le pays d’Aram, entre les deux fleuves : “Bilam, fils de Beor, de Pethor, en Aram entre les fleuves” (Bamidbar 23, 5), qui est la Mésopotamie, l’Irak. Bilam fréquentait souvent les montagnes de “Kédem” : “Bilam prononça son oracle, et dit : Balak m’a conduit d’Aram, le roi de Moab, des montagnes de Kédem” (Bamidbar 23, 7). Nos grands-pères, Bethuel et Lavan, s’appellent “araméens” : “Rébecca, fille de Bethuel l’Araméen de Paddan-Aram, et sœur de Laban l’Araméen” (Beréchit 25, 20), et Lavan parlait l’araméen (Beréchit 31, 47).
2) Le petit-fils de Nahor, frère d’Avraham, est donc un cousin de Lavan (Béréchit 22, 21).
Aram est une des soixante-dix personnes citées dans la Torah qui fondaient un peuple ; ses descendants fondaient une langue après l’histoire de la tour de Babylonie. Elle ne fut pas parlée uniquement par ses propres descendants, mais par beaucoup de peuples au Proche-Orient. Nabukodonozor, le roi de Babylonie, et sa population parlaient (entre autre) l’araméen : “Les Chaldéens (babyloniens) répondirent au roi (Nabukodonozor) en langue araméenne : O roi…” ; (Daniel 2, 4), ainsi les officiels de l’empire perse : “… écrivirent à Artachaste roi de Perse ; la lettre fut transcrite en caractères araméens et traduite en araméen” (Ezra 4, 7). Même certains nobles à la cour de Rome furent des spécialistes de cette langue, comme Onkelous (Méguila 3a), le neveu du roi de Rome, qui s’est converti au judaïsme.
Le territoire du peuple d’Aram variait selon les victoires et les pertes des guerres qu’ils menaient contre ses voisins, entre autre avec les juifs, (Rois I, 20, 1 ; 1, 22, 3 ; 2, 5, 2 ; 2, 6, 8 ; 2, 12, 18 ; 2, 14, 22 ; 2, 16, 5) ; leurs rois régnaient parfois à Damas (Rois II, 8, 7).
A l’époque du premier Temple, le juif lambda ne parlait pas l’araméen ; cela était une exclusivité des ministres des rois juifs. Le traitre juif Ravchaké, envoyé par l’Empereur assyrien San’hériv, insultait le roi ‘Hizkia, assiégé à Jérusalem, en hébreu. Les ministres de ‘Hizkia demandèrent à Ravchaké à ce qu’il ne leur parle qu’en araméen et pas en hébreu, afin de ne pas décourager le peuple : “Éliakim … dirent à Ravchaké : Parle à tes serviteurs en araméen, car nous le comprenons; et ne nous parle pas en langue judaïque, aux oreilles du peuple qui est sur la muraille” (Rois II, 18, 26).
Par la suite, les juifs furent exilés et ils apprirent l’araméen des populations environnantes. A leur retour à Jérusalem, les simples juifs ne parlaient souvent que l’araméen, et à plus forte raison ces juifs nés de mariage mixte : “A cette même époque, je vis des Juifs qui avaient pris des femmes ashdodiennes, ammonites, moabites, la moitié de leurs fils parlaient l’ashdodien, et ne savaient pas parler le juif; ils ne connaissaient que la langue de tel ou tel peuple” (Né’hémia 13, 23-24, et voir Rambam, Téfila 1, 4). L’hébreu restait la langue des érudits qui étudiaient la Torah. Enfin, elle demande à ce que les parents enseignent à leurs fils la Torah : “Et vous les enseignez à vos fils pour qu’ils la parlent (la Torah), quand tu es assis dans ta maison, quand tu marches sur ton chemin, et en te couchant et en te levant” (Dévarim 11, 19). Dans leur commentaire sur ce verset, les sages insistent sur le fait que cet enseignement soit fait en hébreu : “dès que le fils sait parler, son père lui parle en hébreu, et lui enseigne la Torah” (Sifri, apporté dans Rachi). “Rabbi Méir dit : celui qui habite en Erets Israël, dont sa nourriture est entièrement consommée en état de pureté, qui parle la langue hébreu, et qui lit chaque matin et soir le Chéma’ Israël, est assuré d’avoir une part dans le monde futur” (Yérouchalmi, Chabbath, 1, 3).
A l’époque du premier Beth Hamikdach, bien que le juif lambda écrivait son Séfér Torah en langue hébreu, il n’utilisait pas les caractères du rouleau de Moché Rabbénou, mais les caractères “Ivri”, un alphabet plus facile à écrire. Au retour des juifs à Jérusalem, constatant que beaucoup de juifs ignoraient la langue hébreu, Ezra proposa au peuple de choisir entre l’hébreu et l’araméen, et entre les caractères ‘Ivri ou ceux de Moché. Les juifs choisirent la langue hébraïque et les caractères de Moché, et laissèrent l’alphabet ‘Ivri pour les livres des samaritains. Depuis, nous écrivons tous nos Sifré Torah en hébreu et en caractères d’origine, appelés “Achourit”, car nous les utilisons depuis notre retour d’Achour (Sanhédrin 22b).
Pour que le texte de la Torah soit compris par tout le monde : “Ezra a instauré que la lecture hebdomadaire de la Torah soit traduite dans les synagogues en langue araméen, afin que tout le monde comprenne” (Rambam, Téfila, 12, 10). Cette langue a plusieurs dialectes, le babylonien, le syrien et le Yérusalmite. Voici un exemple : la Torah appelle l’acte (le document) de divorce “Séfér Keritout” (Dévarim 24, 1). Ces mots se traduisent en araméen différemment selon les dialectes “Guét Pitourine” (Onkeloss), “Séfér Tirouhine” (Yonathan ben Ouziel), ou “Iguérèt Chevoukine” (Yérouchalmite). Pour que l’acte de divorce soit compris par tout le monde, on y cite toutes les trois appellations (Guitin 85b).
En ce qui concerne la rédaction des enseignements du Talmud, celui de Babylonie et celui de Jérusalem furent rédigés en araméen. Les discussions rabbiniques furent débattues plutôt en araméen, car la Torah n’est pas l’exclusivité d’une confrérie, mais l’héritage de tout le peuple ; les sages parlaient dans une langue que tout le monde comprenait, afin de faire participer les couches populaires à l’étude. La Michna, par contre, fut rédigée principalement en hébreu (sauf quelques expressions populaires en araméen). La raison est sans doute du fait qu’elle contient beaucoup d’enseignements mis en forme à l’époque biblique et ainsi transmis, et que son rédacteur, Rabbi Yéhouda Hanassi, n’a pas voulu changé la langue dans laquelle ils furent mis en forme.
Kol Touv.